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Daniel Rothbart et la mémoire collective

Pedrini, Enrico, “Daniel Rothbart et la mémoire collective”, PerformArts, numéro 1, printemps 2006.

La mémoire, dans l’oeuvre de Daniel Rothbart, n’est ni un repliement, ni une ressource intimiste ou autobiographique : pour l’artiste, ce travail sur la mémoire du réel représente son désir de plonger les mains dans les sédiment d’idéntité et de culture déposés par la réalité. L’art, pour Rothbart, ne se résout pas en un statut ni en une forme. Il devient une action artistique qui se substitue à la représentation et à l’appropriation simple du réel et de la nature. L’art est la réalité et celle-ci se présente comme une contradiction partagée (mémoire collective). Pour tout cela, j’aime situer l’oeuvre de cet artiste américain dans un mouvement très développé en Europe que j’avais nommé “Utopia del Possibile” en 1993 et que j’appelle aujourd’hui “Possibilisme”.

L’art du «possibilisme» est un art en devenir continu. Il se présente comme l’occasion qu’a la réalité, mais aussi les connaissances de “tout” (c’est parfois la quotidienneté et la normalité), de se refléter dans l’opération projetée par l’artiste. Les opérateurs qui rentrent en ligne ne prennent pas une inspiration directe du réel : ils en manipulent les connaissances et la perception, leur donnant toujours un lieu, un contexte nouveau ou renouvelé: la possibilité de l’art. Une des caractéristiques de ces thèmes est de proposer une correction, une évolution possible des concepts de la réalité et de la nature comme ressources d’effectivité et de production pour l’art. Daniel Rothbart se trouve donc à l’intérieur d’une problématique : celle de s’engager à fond dans une volonté continuelle et obsessive d’atteindre quelque expérience non encore explorée. Il cherche à obtenir l’élargissement des possibilités de la connaissance même, pour arriver à substituer complètement la réalité par l’art. Ses recherches ne s’arrêtent pas simplement aux langages. Au contraire, ils se déplacent entre les diverses interactions possibles que le système de l’art peut offrir au contexte culturel actuel.

Recherchant les systèmes culturels et les ambiances où l’art interagit, Rothbart parcours des voies nouvelles, telles que l’étude attentive de la révision des fondements culturels sur lesquels l’Art Américain d’après-guerre est fondé, tout en soulignant sa forte particularité et sa différence par rapport à l’Europe.

A travers une formalisation nouvelle de l’identité américaine dans sa spécificité multiraciale et multidisciplinaire, Rothbart affirme la nécessité d’envisager, d’un point de vue tout-à-fait inédit, la complexité du contexte artistique de l’Amérique du Nord, faisant émerger des valeurs symboliques inexplorées telles que les religions, le social, l’histoire et la culture. C’est pour cela qu’il met en évidence l’idée du sacré, la cabale, la mystique juive entrés à plein titre dans l’inconscient collectif de ce contexte. Dans son livre, publié en Italie en 1996, qui a pour titre “La Métaphysique Juive comme l’un des fondements de l’Art Américain”, Rothbart retrouve les influences du Judaisme et de la métaphysique juive sur le développement de l’art américain, à partir de l’Expressionisme Abstrait pour finir avec l’Art Conceptuel des années ’60. Il suggère que les affinités trouvées entre les artistes, les critiques et les collectionneurs de cette culture et le nouvel art abstrait, ont été en quelque sorte, conditionnées par le deuxième commandement du Décalogue qui interdit la création d’images idolàtres. L’artiste développe dans ce livre les thèmes, les images et les symboles de la mystique hébraïque, ou “cabale”, qui paraissent directement ou indirectement dans le contexte de l’art américain. Cet essai nous explique pourquoi il y aurait tant d’affinités entre les collectionneurs de cette culture et les langages de l’art cubiste, futuriste et surtout dadaïste et les raisons de ce grand accueil qu’eut la grande exposition «Armory Show», qui se présentait riche de thèmes tous très loin de la représentation figurative. En effet la métaphysique hébraïque redécouvrait dans l’art moderne la justification de sa tendance iconoclaste, en adhérant avec passion aux idées des avant-gardes historiques liées aux concepts d’espace et de temps einsteiniens. L’oeuvre de Rothbart, pas seulement ses essais mais aussi son travail «opératif» et artistique, ouvre donc un front exemplaire où le conceptuel sort de l’autoréférence “de l’art pour l’art”, pour devenir un moteur culturel capable de faire affleurer des potentialités nouvelles et des fonctions pour l’art même. Le mythe devient dans son activité “utopiste”, capable de redonner force et fondement à une reconsidération du sacré comme dépot interactif capable de formaliser les codes et les voies des contextes culturels.

Pour cette raison, le monde de la cabale devient explicitement un fondement central de sa symbolique artistique, une mythologie idéologique d’un arrière-pays autonome, le point de résolution d’une matrice historique qui a accompagné la formation de l’art nouveau en Amérique.

On voit affleurer, dans l’oeuvre de Rothbart, la culture de la mémoire irrationnelle et irréelle du monde des mythes et des symboles religieux ou laïques, qui se visualisent comme des éléments de sédimentation historique de la connaissance et du vécu. Son travail reste au contraire étranger à l’autre culture contemporaine, c’est-à-dire celle qui est liée au “continuum”, à l’irrévérsibilité du développement scientifique dans son accélération effrénée de l’information et de la communication. “Semiotic Street”, terme inventé par Daniel Rothbart, devient la scène où se tiennent les échanges symboliques des événements sociaux et culturels, le lieu où s’accumulent les traces des comportements collectifs en leurs aspirations émotives et spirituelles. La rue devient le terrain de sa recherche, en tant que lieu collectif où se sédimentent les traces de la vie vécue et où s’accumulent les expériences de rapports sociaux entre les individus. Rothbart, développant de plus en plus le relationnisme entre les choses et les individus comme fondement de l’expérience humaine, travaille successivement sur d’autres mythes laïques qui sont partie active de la vie culturelle, tels que le Cinéma et l’Art et actuellement le Jeu de Hasard, en tant que composantes allégoriques animant le spectacle de la vie. Ils deviennent, dans l’imaginaire social, des éléments opératifs et emblématiques capables de créer une ambiance sémiotique articulée d’identités culturelles et de comportements. Depuis plusieurs années cet artiste américain porte avec lui dans ses voyages vers tous les pays du monde, vingt bols en métal de tailles différentes. Chaque fois qu’il trouve une place qui lui plait, Daniel y dispose ses bols et documente cette action par des photos. Les objets, grâce à l’intervention de facteurs extérieurs et imprévus, sont remplis de significations transitoires et s’ouvrent à des acceptions diverses et à des déplacements de sens inattendus.

Ces caractères transitoires, nomades et de déracinement géographique et sémantique forment l’élément central du projet de Daniel Rothbart.

Son art devient surtout “opérativité d’une pratique artistique” qui se substitue à la représentation et à l’appropriation toute simple des réalités et de la nature. Il aime en effet provoquer une vraie «performance» en des occasions diverses, soit avec ses invités, soit avec le public qui participe spontanément. Il appelle cette performance “Médiation/Méditation”. Il s’agit là d’une action dirigée par l’artiste qui filme avec sa caméra-vidéo les diverses interventions, soit des personnes qu’il avait invité auparavant, soit du public qui y prend part. Le dispositif qui provoque l’action est un grand bol en aluminium avec une sorte de gaule à l’intérieur: éléments constants, toujours présent sur la scène de ses performances. Les deux objets fournis par l’artiste en présence de la caméra-vidéo deviennent donc des composants fixes dans chaque événément, mais ils lui donnent en même temps l’occasion de mettre en liberté et en court-circuit la créativité de chaque participant. Dans ce dispositif les termes de “médiation” et de “méditation” entrent en dialectique entre eux en ce qu’ils se confrontent et se mettent en évidence réciproque en même temps. La «méditation» est en effet opposée par rapport à l’idée de ‘médiation’ ou réconciliation et la signification de cette définition dernière caractérise la précédente: la ‘méditation’ se produit en passant par la réconciliation avec soi même et par la ‘médiation’ entre corps et âme. “Meditation/Mediation” recherche les rapports entre objet et contexte et entre des identités différentes, c’est-à-dire l’artiste, l’oeuvre d’art et le public, tout en laissant la physionomie du projet global imprévue et à redéfinir chaque fois.

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